La ballade de Boh Da Thone (1892)
Barrack-Room Ballads
Le cadre historique est celui de la guerre Anglo-Birmane (1883-1885).
Cette nouvelle en vers se termine par une allusion qui peut paraître obscure. La petite fille a l’épaule marquée d’un blason assez particulier qui renvoie à la vieille croyance qu’une femme impressionnée par un événement ou une image lors de la grossesse peut «imprimer» une image sur la peau de l’enfant à naitre, image qui prouverait la véracité du récit…
Ce poème met une nouvelle fois en scène la figure du " fair/worthy enemy", l'ennemi "digne"qui semble important chez Kipling qui pousse très loin l'équivalence des dignes ennemis, au point de les fusionner, voir le même motif dans The Ballad of East and West
Theebaw (1859-1916) : Dernier roi de Birmanie jusqu’à la victoire des anglais en 1885
VPP : Courrier payable par le destinataire
Gomashia Senior GBT : Secrétaire du Government Bullock Train. Convoi attelé de bœufs de l'Etat.
Babu : titre honorifique des bureaucrates indiens sous la domination anglaise.
Black Tyrone : régiment irlandais fictif sous ce nom.
Ghi : Beurre clarifié liquide.
Snider : fusil de l’armée anglaise.
Pêt : ventre, estomac, mais Kipling ne précise pas en quelle langue (Birman ?)
Houri : musulman : beauté céleste
Kathleen Mavournin : chanson populaire irlandaise
Traduction : A.Savine et M. Georges-Michel, Chansons de la chambrée, L'Edition française illustrée, 1920. Voir plus bas.
La ballade de Boh Da Thone
Voici la ballade de Boh Da Thone,
Autrefois prétendant au trône de Theebaw,
Qui harcelait le district d 'Alalone :
Comment il rencontra son destin et le V.P.P.
Par la main de Harendra Mukerji,
Gomashta senior, G.B.T.*
Boh Da Thone était un guerrier audacieux :
Son épée et son fusil étaient incrustés d'or,
Et la Bannière du Paon que portaient ses sbires
Était raidie par l’or, mais plus encore par le sang.
Il tirait sur les forts et sabrait les faibles
De la brousse de Salween aux forêts de teck de Chindwin :
Il crucifiait les nobles, il scarifiait les vils,
Et remplissait les vieilles dames de kérosène :
Tandis qu’en Europe, les journaux proclamaient :
« Le patriote se bat pour son pays ! »
Mais ils se souciaient peu de la presse indigène,
Des soldats blancs usés en tenue kaki,
Qui marchaient à travers la jungle et dormaient dans les étables,
Qui mouraient dans les marécages et étaient enterrés dans la fange,
Qui donnaient leur vie, sur ordre de la Reine,
Pour la fierté de leur Race et la Paix du Pays.
Mais, le premier des ennemis de Boh Da Thone
Était le capitaine O'Neil du Black Tyrone,
Et sa compagnie, forte de soixante-dix hommes,
Harcelait sans relâche ce chef rebelle.
Il y avait des garçons de Galway, de Louth et de Meath
Qui allaient à la mort la blague aux lèvres,
Et vénéraient avec efficacité, ferveur et zèle
La boue sur les talons des bottes de « Crook » O'Neil.
Mais, toujours, une malédiction ruinait leurs efforts
Et toujours leur proie s’évanouissait ,
Jusqu'à ce que les garçons tannés du Black Tyrone
S'intéressent fraternellement à Boh Da Thone
Et, en vérité, si la traque finit en obsession,
Le Boh et ses pisteurs étaient les meilleurs amis du monde.
Le mot d'un éclaireur - une marche nocturne -
Une course à travers la brume - un combat dispersé -
Une salve depuis un abri - un corps dans la clairière -
La vision d'un pagne et d'une lourde boucle d'oreille en jade -
L’incendie d’un village - le décompte des tués -
Et... le Boh était de nouveau parti en maraude !
Ils maudirent leur malchance, comme le font les Irlandais,
Ils lui reconnaissent ruse et habileté,
Ils enterrèrent leurs morts, préparèrent la viande
Et repartirent à la poursuite du voleur,
Jusqu'à, au lieu des calendes grecques, les hommes disent :
« Quand Crook et ses chéris reviendront avec la tête. »
Ils avaient traqué le Boh des collines à la plaine -
Il fit demi-tour et revint à nouveau dans les montagnes :
Ils avaient affaibli son pouvoir de pillage et de maraude,
Ils l'avaient chassé de son territoire,
Et enfin, ils arrivèrent, lorsque l’étoile du berger pâlit,
À un camp déserté - un village incendié.
Une croix noire découpait l'or du matin,
Et le corps dessus était raide et froid.
Le vent de l'aube soufflait joyeusement,
Les hautes herbes inclinaient leurs plumets sous le souffle.
Depuis les herbes, soudain, jaillit
Une gerbe de feu, un éclat de pierre, un tourbillon de fumée -
Et le capitaine O'Neil du Black Tyrone
Fut béni d'une balle dans le cubitus-
Le cadeau de son ennemi Boh Da Thone.
(Or, une balle fabriquée à partir d'un fil de télégraphe
Est une épine dans la chair et un feu lancinant.)
• • • • • • •
La blessure par balle s’infecta - comme peuvent le faire ces blessures
Dans une étouffante caserne à Mandalay.
Le bras gauche le lançait, et le capitaine jura :
« Je donnerais beaucoup pour poursuivre encore le Boh ! »
La fièvre le tenait, et le capitaine dit :
« Je donnerais cent livres pour voir sa tête ! »
Les punkahs de l'hôpital grinçaient et tournaient,
Mais Babu Harendra (Gomashta) entendit.
Il pensa au marais de roseaux, vert et humide,
Qui ceignait sa maison près du réservoir de Dacca.
Il pensa à sa femme et aux études de son fils ,
Il pensa - mais abandonna cette idée - à un revolver.
Son sommeil fut interrompu par les visions effrayantes
D'un Boh flamboyant à la tête d’argent.
Il garda son secret et poursuivit sa route,
Et escroqua les charretiers de la moitié de leur salaire.
• • • • • • •
Et les mois passèrent, comme le pire doit arriver,
Et le Boh retourna à ses rapines.
Mais le capitaine avait quitté ce combat de longue haleine,
Et dans la lointaine Simoorie, il avait pris femme ;
C'était une demoiselle à la silhouette délicate,
Avec des cheveux comme le soleil et un cœur d'or,
Et elle ne savait pas que les bras qui l'enlaçaient
Avaient fendu un homme du front à la taille :
Et elle ne savait pas que les lèvres aimantes
Avaient ordonné l'effacement d'une vie tremblante,
Ou que l'œil qui s'illuminait à son souffle le plus léger
Avait regardé sans crainte les Portes de la Mort.
(Car ce sont là des choses qu'un homme cacherait,
En règle générale, à une Epouse innocente.)
Et le capitaine ne pensait guère au passé,
Et, de tous ses hommes, Babu Harendra était le dernier.
• • • • • • •
Mais lentement, dans la boue de la route de Kathun,
Le Convoi Gouvernemental attelé de bœufs transportait sa charge.
Impeccable, sans tache, et brillant de ghi,
Dans la dernière charrette était assis le Babu-jee
Et devant lui fuyait sans cesse le fantôme
D'un Boh renfrogné à la tête d’argent.
Puis la charrette de tête s'enlisa, malgré les coolies exténués,
Et les charretiers fouettaient et l'escorte fulminait ;
Et hors de la jungle, avec des cris et des hurlements,
Caracola Boh Da Thone, et sa bande sur ses talons !
Puis le tromblon éructa sa réponse
Le Snider gronda et la carabine claqua,
Et le revolver joyeux se mit à chanter
Au son de la lame qui vibrait sur la bague de verrouillage,
Et la chair brune bleuissait là où la baïonnette l'embrassait,
Alors que l'acier rebondissait avec un déchirement et une torsion,
Et les grands bœufs blancs aux yeux d'onyx
Regardaient les âmes des morts s'élever,
Et au-dessus de la fumée de la fusillade
La Bannière du Paon vacilla et oscilla.
Oh, la plus joyeuse des mêlées que l'homme puisse voir
Est une charge bien menée contre le G.B.T. !
Le Babu trembla devant cette horrible vision,
Et ceignit ses reins pesants pour s’enfuir,
Mais le Destin avait décrété que le Boh devait se lancer
Dans un raid solitaire contre la dernière charrette,
Et de cette charrette, avec un mugissement de douleur,
Le Babu tomba - à plat sur le torse du Boh !
Pendant des années, Harendra avait servi l'État,
Pour la croissance de sa bourse et le tour de taille de son pêt
Il pesait vingt stones (127kg), comme le sait le tally-man,
Sur la large poitrine de ce meilleur des Bohs.
Et vingt stones balancées de haut
Sont mauvaises pour un Boh avec une rate grossie.
Oh, la lutte fut brève - violent fut le choc -
Il tomba comme un bœuf, il gisait comme un bloc ;
Et le Babu au-dessus de lui, convulsé de peur,
Entendit le souffle laborieux de la vie s’échapper à son oreille.
Et c'est ainsi, d'une manière indigne,
Que mourut le prince pestiféré du Chindwin.
• • • • • • •
Tournons-nous maintenant vers Simoorie où, enveloppé de douceur,
Le capitaine caresse la mariée sur ses genoux,
Où le sifflement de la balle, le cri du blessé
Se mêlent comme la brume de quelque rêve diabolique -
Oubliée, oubliée, la sueur du carnage,
Là où fleurissent les marguerites des collines et gambadent les singes gris,
Libéré de son ceinturon et débarrassé de son épée ,
La paix du Seigneur est sur le capitaine O'Neil.
En haut de la colline vers Simoorie - le plus patient des travailleurs -
Les sacs sur les épaules, le facteur se traine.
« Pour le capitaine O'Neil, Sahib. Cent dix
Roupies à percevoir à la livraison. » ... Puis
(Leur petit-déjeuner fut interrompu pendant que tournevis et marteau
Déchiraient la toile cirée, fendaient le teck et arrachaient le cachet de cire)
Les yeux écarquillés, la bouche ouverte, sur la neige de la nappe,
Avec un fracas et un bruit sourd, roula - la tête du Boh !
Et collée au cuir chevelu, il y avait une lettre qui disait : -
« EN SERVICE DANS LES FORCES ARMÉES.
Campement,
10 janvier.
Cher Monsieur, j'ai l'honneur de vous envoyer, comme vous l'avez demandé,
Pour approbation finale (voir ci-dessous) la Tête de Boh ;
A été prise par moi-même lors d'une affaire très sanglante.
Grâce à mon Haut niveau d'études, j'ai pu faire pression.
« Maintenant, violation de Liberté, période difficile,
A poster par V.P.P. (cent roupies) Veuillez ajouter
« Tout ce que Votre Honneur peut donner. Le prix du sang
Beaucoup moins cher à cent, et les enfants veulent manger ;
« Alors, confiant que Votre Honneur conservera quelque peu
Son amour et son affection sincères pour le Govt. Bullock Train,
« Et fera preuve d'une grande gentillesse pour me satisfaire,
Je suis,
Gracieux Maître,
H. MUKERJI. »
• • • • • • •
Comme le lapin est attiré par le pouvoir du serpent à sonnettes,
Comme les yeux du fumeur se remplissent à l'heure de l'opium,
Comme un cheval tend le cou vers la mangeoire,
Comme l'oreille qui attend aspire au murmure de l'amour,
Des bras de la mariée, visage de fer et lentement,
Le capitaine se pencha vers la tête du Boh.
Et alors même qu'il regardait la Chose là où elle reposait
Entre les nouvelles cuillères brillantes et les serviettes dressées,
Son esprit libéré s'enfuit vers les jours lointains -
La bagarre au corps à corps - la fumée et les flammes -
La marche forcée dans la nuit et la course effrénée à l'aube,
Le banjo au crépuscule, l'enterrement avant l'aube,
La puanteur des marais, l'odeur âcre et entêtante,
Quand le coup de couteau fait taire le cri,
Les jurons de ses Irlandais qui déferlèrent quand ils se dressèrent,
Là où les croix noires pendaient au-dessus du fleuve Kuttamow.
Comme un navire abandonné emporté par la marée,
Le capitaine quitta son Epouse pour le passé,
En arrière, en arrière, à travers les printemps jusqu'au froid de l'année,
Quand il chassait le Boh de Maloon à Tsaleer.
Comme la forme d'un cadavre émerge lentement des eaux profondes,
Dans ses yeux s'alluma la passion sans passion du massacre,
Et les hommes qui avaient combattu à mort avec O'Neil
avaient regardé son visage avec moins d'effroi que sa femme.
Car celle qui l'avait tenu si longtemps ne pouvait plus le retenir -
Même si une éternité de quatre mois aurait dû le contrôler -
Mais elle observa les deux terreurs jumelles - la tête vers la tête -
Le Noir renfrogné et balafré, et le Rouge sauvage et congestionné -
L'esprit qui lui échappait et s’envolait vers
Un passé sinistre et caché dont elle n'avait jamais eu la moindre idée.
Mais Cela savait avec son rictus, il la toucha sans crainte,
Et marmonna à voix haute : « Alors tu as gardé cette boucle d'oreille en jade ! »
Puis il hocha la tête, gentiment, comme un ami salue un ami,
« Vieux frère, tu t'es bien battu, mais tu as perdu à la fin. »
• • • • • • •
Les visions disparurent, et la Honte succéda à la Passion : -
« Il a pris ce que j'avais dit de cette horrible manière,
« J'écrirai à Harendra ! » Avec un langage peu biblique,
le capitaine revint vers la Mariée... qui s'était évanouie.
• • • • • • •
Et c'est une fiction ? Non. Allez à Simoorie
Et regardez leur bébé, une Houri âgée de douze mois,
Une petite Kathleen Mavournin espiègle aux yeux irlandais -
Elle est toujours sur le Mall le matin -
Et vous verrez, si la bretelle droite de son épaule est déplacée,
Ceci : De Gueules sur champ d'argent, une tête de Boh arrachée !
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Traduction d' A.Savine et M. Georges-Michel, Chansons de la chambrée, L'Edition française illustrée, 1920.
Ballade de Boh Da Thone
Ceci est la ballade de Bho Da Thone,
D'abord prétendant au trône de Theebaw,
Qui razziait le district d'Alalone.
Il rencontra son destin et le V.P.P
Par la main de Harendra Mukerji,
Premier gomashta, G.B.T.
Boh Da Thone était un guerrier hardi ;
Son sabre et son Snider étaient incrustés d'or.
Et ses hommes fidèles portaient le drapeau du Paon
Tout raide de broderies d'or, et plus raide encore de sang.
Il tirait sur les forts, il cinglait les faibles,
Depuis les fourrés de Sahveen jusqu'aux forêts de teck du Chindwin.
Il crucifiait les nobles, il sacrifiait les gens du commun.
Il remplissait d'essence de pétrole les vieilles dames.
Et partout, de l'autre côté de la mer, les journalistes de crier :
"Le patriote combat pour son pays."
Mais on n'écoutait guère la presse indigène
Les soldats fatigués en uniforme khaki.
Qui parcouraient péniblement la jungle et campaient dans l'étable
Qui mouraient dans les marais et qui étaient enterrés dans la vase.
Qui donnaient leur vie, sur ordre de la Reine,
Pour l'honneur de leur race et la tranquilité du pays.
Or au premier rang des ennemis de Boh Da Thone
Etait le capitaine O'Neil du "Noir Tyrone",
Et il avait une compagnie de soixante-dis hommes
Qui suivaient partout avec entrain ce chef casse-cou.
C'étaient des gars de Galway, et de Louth et de Meath ;
Ils allaient à la mort la plaisanterie aux lèvres.
Et ils adoraient avec emphase, avec zèle, avec ferveur,
La boue restée aux talons de ce "pendart" d'O'Neil.
Mais il y avait toujours quelque chose qui gâtait leur ouvrage,
Et leur gibier leur échappait sans cesse.
Si bien que les gars hâlés du "Noir Tyrone"
Arrivèrent à éprouver un intérêt fraternel pour Boh Da Thone.
Et donc si la poursuite finit quand on entre en possession,
Le Boh et ses poursuivants étaient les meilleurs amis.
Le mot d'un éclaireur, une marche de nuit,
Un élan à travers le brouillard , une fuite en tous sens,
Une décharge en embuscade, un cadavre dans la clairière,
La courte vision d'un pagne, d'un lourd pendant d'oreille en jade,
L'embrasement d'un village, le compte des victimes,
Et... Boh prenait le large et repartait pour un raid !
Ils maudissaient leur guignon, en vrais Irlandais
Et ils lui faisaient une réputation de ruse et d'habileté.
Ils enterraient leurs morts, il avalaient leur bœuf,
Et repartaient sur la piste du bandit.
Jusqu'au jour où, disaient les hommes, évoquant les calendes grecques,
"Crook O'Neil et ses mignons reviendront avec la tête".
Ils avaient pourchassé le Boh, des montagnes à la plaine ;
Le Boh revint sur ses pas et reparut dans les montagnes.
Ils avaient bien réduit l'étendue de ses rapines et de ses raids.
Ils l'avaient débusqué dans son enceinte favorite.
Et à la fin, quand l'étoile du jour se lassa, ils arrivèrent
A un camp abandonné, à un village incendié.
Une croix noire flétrissait l'or du matin.Un corps y était attaché raide et froid.
Le vent de l'aube y passait gaîment.
Les hautes herbes balançaient leur panache à ce signe.
Et du gazon tout à coup jaillit
Une langue de flamme, une volute de fumée.
Et le capitaine O'Neil du " Noir Tyrone"
Eut la chance de recevoir dans l'omoplate un lingot
Présent de son ennemi Boh Da Thone.
Or un projectile fabriqué en fil de télégraphe martelé
Est une épine dans la chair, un feu rongeant.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La blessure s'enflamma, comme c'est l'ordinaire pour les coups de feu,
Dans une caserne étouffante à Mandalay.
Le bras gauche s'enfiévra et le capitaine jura :
— " je voudrais bien courir encore une fois après Boh Da Thone !"
La fièvre le tenait. Le capitaine dit :
" Je donnerais bien cent livres pour contempler sa tête."
Les punkhas de l'hôpital craquaient, criaient,
Mais le Babou Harendra , Gomashta, entendit.
Il pensa au marais, plein de roseaux, verts, noyés,
Qui encerclaient sa demeure près de la prise d'eau de Dacca.
Il songea à sa femme, à son fils, élève de l'Ecole supérieure,
Il songea ; mais il renonça à cette idée, à un fusil.
Son sommeil était agité de visions terribles,
Un Boh tout brillant avec une tête en argent.
Il gardait son idée pour lui, il alla à ses affaires,
Et filouta aux voituriers la moitié de leur paie.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Des mois se passèrent. Les pires choses passent aussi.
Et le Boh recommença ses expéditions.
Mais le capitaine avait renoncé à cette lutte interminable
Et prit femme bien loin, à Simoorie.
Et c'était une personne de complexion délicate,
Avec une chevelure comme un rayon de soleil, et un cœur d'or.
Et elle ne se doutait guère que le bras qui l'entourait
Avait fendu un homme depuis le front jusqu'à la ceinture.
Et elle ne se doutait guère que ses lèvres amoureuses
Avait commandé la fin d'une vie frissonnante.
Et que l'œil qui s'enflammait à son plus léger souffle
S'était fixé impassible sur les portes de la mort.
Car ce sont là choses que, en règle générale,
on cache volontiers à une innocente compagne.
Et le capitaine ne songeait plus guère au passé
Et moins encore au babou Harendra.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais lentement dans la boue de la route de Kathun,
Le convoi, traîné par des bœufs, le convoi de l'Etat remorquait sa charge.
Sans un grain de poussière, sans une tache, et reluisant de ghee,
Le babou-jee était assis dans la dernière voiture.
Et toujours flottait, fuyait devant lui le fantôme
D'un Boh grimaçant avec sa tête d'argent.
Alors la voiture de pointe s'arrêta, malgré tous les efforts des coolies,
Et les coups de fouet des charretiers, et les jurons de l'escorte.
Et de la jungle, avec hurlements, avec grands cris,
S'élança Boh Da Thone, avec sa bande sur ses talons.
Alors le tromblon à la vaste embouchure riposta
Au claquement du Snider, au crépitement de la carabine ;
Et le joli revolver se mit à chanter sa réponse
A la lame qui résonnait sur le mousqueton.
Et la chair brune bleuit sous le baiser de la baïonnette
Quand l'acier entrait et ressortait d'un coup sec avec une torsion.
Et les grands bœufs blancs, de leur yeux d'onyx,
regardaient se lever les âmes des morts.
Et par-dessus la fumée de la fusillade,
Le drapeau de Paon ondoyait et s'inclinait
C'est bien dans une chaude ruée sur le convoi attelé de bœufs de l'Etat
Qu'on peut voir la plus joyeuse des échauffourées.
Le babou tremblait à ce spectacle horrible,
Et ceignait ses hanches épaisses en vue de la fuite.
Mais le destin avait décidé que le Boh se lancerait
En un coup de main isolé sur la voiture d'arrière
Et de cette voiture, poussant un gémissement de douleur,
Le babou tomba, tout juste sur la tête de Boh.
Pendant des années Harendra avait servi l'Etat
De façon à faire croître sa bourse et le pourtour de son pet.
Cela faisait deux cent cinquante livres qui tombent de haut,
C'est mauvais pour un Boh dont la rate a grossi.
La résistance fut courte, le choc violent.
Il tomba comme un bœuf, il resta immobile comme une souche.
Et le babou par dessus lui, tout convulsé de peur,
Entendit le dernier souffle sortir, en sifflant péniblement à son oreille.
Et ce fut de cette façon sans dignité
Que mourut le prince qui était le fléau du Chindwin.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Retournons maintenant à Simoorie, on était dans un riche intérieur
Le capitaine dorlote sa jeune femme sur ses genoux,
Et où le vrrrt... de la balle, le cri du blessé
Se confondent dans le bouillard d'un rêve diabolique.
Oubliée, oubliée la sueur des abattoirs,
Là ou s'épanouit la marguerite des montagnes, ou gambade le singe gris !
Délivré du ceinturon, soulagé du poids de son épée,
Le capitaine O'Neil goûte la paix du Seigneur.
Sur la pente qui monte à Simoorie, le plus patient des serviteurs,
Sacs sur l'épaule, le facteur va de son pas lourd.
"Pour le capitaine O'Neil, Sahib, Cent dix Roupies. Contre remboursement ."
Alors
Ils interrompirent leur déjeuner pendant que le tournevis et le marteau
Déchirant la toile cirée, fendent le bois de teck et font voler le couvercle en éclat.
Les yeux ouverts, la bouche béante, sur la blancheur de neige de la nappe
Avec un choc, un bruit sourd, roule la tête du Boh !
Et collée à la peau, il y a une lettre ainsi concue :
SERVICE DE LA TROUPE EN CAMPAGNE
Camp....
10 Janvier.
Cher Monsieur, j'ai l'honneur de vous envoyer, comme vous l'avez dit,
En vue d'une approbation finale ( voir ci-dessous) la tête du Boh.
Fut prise par moi-même dans une affaire des plus sanglantes,
Malgré une Haute Education, j'insiste, car cela presse.
Et maintenant je viole liberté, le temps étant mauvais,
De vous expédier contre remboursement : cent roupies. Vous voudrez bien ajouter
Ce qui plaira à Votre Honneur. Le prix du sang
Est très bon marché à cent, et les enfants ont besoin de manger.
Aussi, dans l'espoir que Votre Honneur gardera
Un véritable amour et affection pour le convoi attelé des bœufs de l'Etat
Et montrera épouvantable bonté à me satisfaire,
Je suis,
Gracieux Maître
Votre
H. Mukerji.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
De même que le lapin est attiré par le magnétisme du serpent à sonnettes,
De même que les yeux du fumeur s'humectent à l'heure de l'opium,
De même que le cheval tend le cou vers la mangeoire au-dessus de lui,
De même que l'oreille aux aguets attend les paroles que murmurent l'amour,
Ainsi se dégageant des bras de la fiancée, l'air dur et d'un mouvement lent,
Le capitaine se pencha sur la tête du Boh.
Et tout en regardant la tête qui était là,
Parmi les brillantes cuillers toutes neuves et l'assortiment des serviettes.
Son esprit, prenant son vol librement, revint aux temps écoulés depuis longtemps,
A la lutte corps à corps, à la fumée et à l'embrasement,
A la marche forcée de nuit, au subit départ dès l'aube,
Au banjo du crépuscule, à l'enterrement avant le petit jour,
A la puanteur des marais, à l'odeur forte et piquante,
Quand le couteau dirigé d'en haut coupe court à un hurlement,
Aux serments de ses Irlandais quand ils s'arrêtaient
Près des croix noires se dressant par dessus le Kuttamow débordé.
Comme un navire abandonné dérive avec la marée,
Le capitaine, laissant là sa pauvre femme, partit pour le passé.
Bien loin, bien loin, à travers les sources, jusqu'à l'année glaciale
Où ils pourchassaient le Boh de Maloon à Tsaleer.
De même que la forme du cadavre se dessine vaguement à travers l'eau profonde
Dans son œil s'alluma la passion impassible du massacre.
Mais les hommes qui avaient lutté contre O'Neil pour défendre leur vie
Avaient jeté sur son visage un regard moins terrifié que celui de sa femme.
Car elle qui l'avait dominé si longtemps, ne pouvait le dominer,
Bien qu'une éternité de quatre mois l'eût conquis.
Et elle contemplait les deux terreurs, la tête tournée vers la tête,
La tête noire, grimaçante, avec des cicatrices, et la tête où le sang mettait un rouge terrible
L'esprit devenu tout autre que celui qu'elle connaissait et qui s'envolait
Vers quelque passé hideux et caché, dont elle 'avait jamais eu nulle notion.
Mais la tête savait, la tête en ricanait, car il la toucha sans crainte,
Et dit tout haut : "Ainsi donc vous avez gardé cette boucle d'oreille de jade ?"
Puis dodelinant doucement et avec bonté, en ami qui parle à un ami :
— " Mon vieux, vous vous êtes bien battu, mais vous avez fini par perdre."
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les visions s'effacèrent, et la honte succéda à la passion :
— " il a compris ce que je disais, de cette horrible façon...
J'écrirai à Harendra !" Et sur un juron brutal
Le capitaine revint à sa jeune femme... qui s'était évanouie.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C'est une fiction ? Non pas, Allez à Simoorie,
Et contemplez leur baby, une houri de douze mois,
Une maligne petite Kathleen Mavournin, aux yeux irlandais.
Tous les matins on la voit sur le Mail.
Et vous distinguerez, si la patte du corsage sur son épaule gauche se déplace,
Ceci : de gueules sur champ d'argent, une tête de Boh, arrachée !
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The Ballad of Boh Da Thone
This is the ballad of Boh Da Thone,
Erst a Pretender to Theebaw's throne,
Who harried the district of Alalone:
How he met with his fate and the V.P.P.*
At the hand of Harendra Mukerji,
Senior Gomashta, G.B.T.*
1
Boh Da Thone was a warrior bold:
His sword and his rifle were bossed with gold,
And the Peacock Banner his henchmen bore
Was stiff with bullion, but stiffer with gore.
He shot at the strong and he slashed at the weak
From the Salween scrub to the Chindwin teak:
He crucified noble, he scarified mean,
He filled old ladies with kerosene:
While over the water the papers cried,
"The patriot fights for his countryside!"
But little they cared for the Native Press,
The worn white soldiers in Khaki dress,
Who tramped through the jungle and camped in the byre,
Who died in the swamp and were tombed in the mire,
Who gave up their lives, at the Queen's Command,
For the Pride of their Race and the Peace of the Land.
Now, first of the foemen of Boh Da Thone
Was Captain O'Neil of the Black Tyrone,
And his was a Company, seventy strong,
Who hustled that dissolute Chief along.
11
There were lads from Galway and Louth and Meath
Who went to their death with a joke in their teeth,
And worshipped with fluency, fervour, and zeal
The mud on the boot-heels of "Crook" O'Neil.
But ever a blight on their labours lay,
And ever their quarry would vanish away,
Till the sun-dried boys of the Black Tyrone
Took a brotherly interest in Boh Da Thone:
And, sooth, if pursuit in possession ends,
The Boh and his trackers were best of friends.
The word of a scout - a march by night -
A rush through the mist - a scattering fight -
A volley from cover - a corpse in the clearing -
The glimpse of a loin-cloth and heavy jade earring -
The flare of a village - the tally of slain -
And. . .the Boh was abroad on the raid again!
They cursed their luck, as the Irish will,
They gave him credit for cunning and skill,
They buried their dead, they bolted their beef,
And started anew on the track of the thief,
21
Till, in place of the "Kalends of Greece", men said,
"When Crook and his darlings come back with the head."
They had hunted the Boh from the hills to the plain -
He doubled and broke for the hills again:
They had crippled his power for rapine and raid,
They had routed him out of his pet stockade,
And at last, they came, when the Daystar tired,
To a camp deserted - a village fired.
A black cross blistered the morning-gold,
And the body upon it was stark and cold.
The wind of the dawn went merrily past,
The high grass bowed her plumes to the blast.
And out of the grass, on a sudden, broke
A spirtle of fire, a whorl of smoke -
And Captain O'Neil of the Black Tyrone
Was blessed with a slug in the ulnar-bone -
The gift of his enemy Boh Da Thone.
(Now a slug that is hammered from telegraph-wire
Is a thorn in the flesh and a rankling fire.)
• • • • • • •
The shot-wound festered - as shot-wounds may
In a steaming barrack at Mandalay.
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The left arm throbbed, and the Captain swore,
"I'd like to be after the Boh once more!"
The fever held him - the Captain said,
"I'd give a hundred to look at his head!"
The Hospital punkahs creaked and whirred,
But Babu Harendra (Gomashta) heard.
He thought of the cane-brake, green and dank,
That girdled his home by the Dacca tank.
He thought of his wife and his High School son,
He thought - but abandoned the thought - of a gun.
His sleep was broken by visions dread
Of a shining Boh with a silver head.
He kept his counsel and went his way,
And swindled the cartmen of half their pay.
• • • • • • •
And the months went on, as the worst must do,
And the Boh returned to the raid anew.
But the Captain had quitted the long-drawn strife,
And in far Simoorie had taken a wife;
And she was a damsel of delicate mould,
With hair like the sunshine and heart of gold,
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And little she knew the arms that embraced
Had cloven a man from the brow to the waist:
And little she knew that the loving lips
Had ordered a quivering life's eclipse,
Or the eye that lit at her lightest breath
Had glared unawed in the Gates of Death.
(For these be matters a man would hide,
As a general rule, from an innocent Bride.)
And little the Captain thought of the past,
And, of all men, Babu Harendra last.
• • • • • • •
But slow, in the sludge of the Kathun road,
The Government Bullock Train toted its load.
Speckless and spotless and shining with ghi,
In the rearmost cart sat the Babu-jee.
And ever a phantom before him fled
Of a scowling Boh with a silver head.
Then the lead-cart stuck, though the coolies slaved,
And the cartmen flogged and the escort raved;
And out of the jungle, with yells and squeals,
Pranced Boh Da Thone, and his gang at his heels!
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Then belching blunderbuss answered back
The Snider's snarl and the carbine's crack,
And the blithe revolver began to sing
To the blade that twanged on the locking-ring,
And the brown flesh blued where the bay'net kissed,
As the steel shot back with a wrench and a twist,
And the great white oxen with onyx eyes
Watched the souls of the dead arise,
And over the smoke of the fusillade
The Peacock Banner staggered and swayed.
Oh, gayest of scrimmages man may see
Is a well-worked rush on the G.B.T.!
The Babu shook at the horrible sight,
And girded his ponderous loins for flight,
But Fate had ordained that the Boh should start
On a lone-hand raid of the rearmost cart,
And out of that cart, with a bellow of woe,
The Babu fell - flat on the top of the Boh!
For years had Harendra served the State,
To the growth of his purse and the girth of his pêt
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There were twenty stone, as the tally-man knows,
On the broad of the chest of this best of Bohs.
And twenty stone from a height discharged
Are bad for a Boh with a spleen enlarged.
Oh, short was the struggle - severe was the shock -
He dropped like a bullock - he lay like a block;
And the Babu above him, convulsed with fear,
Heard the labouring life-breath hissed out in his ear.
And thus in a fashion undignified
The princely pest of the Chindwin died.
• • • • • • •
Turn now to Simoorie where, lapped in his ease,
The Captain is petting the Bride on his knees,
Where the whit of the bullet, the wounded man's scream
Are mixed as the mist of some devilish dream -
Forgotten, forgotten the sweat of the shambles
Where the hill-daisy blooms and the gray monkey gambols,
From the sword-belt set free and released from the steel,
The Peace of the Lord is on Captain O'Neil.
Up the hill to Simoorie - most patient of drudges -
The bags on his shoulder, the mail-runner trudges.
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"For Captain O'Neil, Sahib. One hundred and ten
Rupees to collect on delivery." ... Then
(Their breakfast was stopped while the screw-jack and hammer
Tore waxcloth, split teak-wood, and chipped out the *dammer;)
Open-eyed, open-mouthed, on the napery's snow,
With a crash and a thud, rolled - the Head of the Boh!
And gummed to the scalp was a letter which ran: -
"IN FIELDING FORCE SERVICE.
"Encampment,
"10th Jan.
"Dear Sir, - I have honour to send, as you said,
"For final approval (see under) Boh's Head;
"Was took by myself in most bloody affair.
By High Education brought pressure to bear.
"Now violate Liberty, time being bad,
To mail V.P.P. (rupees hundred) Please add
"Whatever Your Honour can pass. Price of Blood
Much cheap at one hundred, and children want food;
"So trusting Your Honour will somewhat retain
True love and affection for Govt. Bullock Train,
"And show awful kindness to satisfy me,
I am,
Graceful Master,
Your
H. MUKERJI."
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As the rabbit is drawn to the rattlesnake's power,
As the smoker's eye fills at the opium hour,
As a horse reaches up to the manger above,
As the waiting ear yearns for the whisper of love,
From the arms of the Bride, iron-visaged and slow,
The Captain bent down to the Head of the Boh.
And e'en as he looked on the Thing where It lay
'Twixt the winking new spoons and the napkins' array,
The freed mind fled back to the long-ago days -
The hand-to-hand scuffle - the smoke and the blaze -
The forced march at night and the quick rush at dawn -
The banjo at twilight, the burial ere morn -
The stench of the marshes - the raw, piercing smell
When the overhand stabbing-cut silenced the yell -
The oaths of his Irish that surged when they stood
Where the black crosses hung o'er the Kuttamow flood.
As a derelict ship drifts away with the tide
The Captain went out on the Past from his Bride,
Back, back, through the springs to the chill of the year,
When he hunted the Boh from Maloon to Tsaleer.
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As the shape of a corpse dimmers up through deep water,
In his eye lit the passionless passion of slaughter,
And men who had fought with O'Neil for the life
Had gazed on his face with less dread than his wife.
For she who had held him so long could not hold him -
Though a four-month Eternity should have controlled him -
But watched the twin Terror - the head turned to head -
The scowling, scarred Black, and the flushed savage Red -
The spirit that changed from her knowing and flew to
Some grim hidden Past she had never a clue to.
But It knew as It grinned, for he touched it unfearing,
And muttered aloud, "So you kept that jade earring!"
Then nodded, and kindly, as friend nods to friend,
"Old man, you fought well, but you lost in the end."
• • • • • • •
The visions departed, and Shame followed Passion: -
"He took what I said in this horrible fashion,
"I'll write to Harendra!" With language unsainted
The Captain came back to the Bride. . .who had fainted.
• • • • • • •
And this is a fiction? No. Go to Simoorie
And look at their baby, a twelve-month old Houri,
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A pert little, Irish-eyed Kathleen Mavournin -
She's always about on the Mall of a mornin' -
And you'll see, if her right shoulder-strap is displaced,
This: Gules upon argent, a Boh's Head, erased!
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