Je réalise que ma salle actuelle est le lieu dans lequel j’ai passé le plus de temps dans ma vie. Je n’ai jamais vécu aussi longtemps dans le même appartement, la même maison. Je ne suis d’ailleurs pas particulièrement attaché à cette salle banale d’un collège moche.
C’est plutôt une grande salle au premier étage, vaste, claire, ouverte sur 2 cotés, vue sur la cour et au loin les monts à gauche, en face sur des arbres et un immeuble où, en première heure crapoteuse des matins d’hiver, on pouvait regarder des dessins animés sur la télé grand écran d'un appartement. J’avais un 6e qui doit maintenant être scénariste chez Netflix capable d’improviser tous les dialogues.
Tout me lasse vite, à commencer par la décoration « Lettres ». J’ai mis une fois une belle tête de Hugo vieux dessinée par Moebius. Un élève m’a dit "c'est vous ?". Je ne mets plus au mur que des réalisations d’élèves. Il y a un petit crochet sur le mur à gauche ou parfois un élève fatigué glisse son doigt levé en attendant que je me décide.
C’est ma salle, officiellement. Un élève un peu particulier que j’avais eu en 6e est revenu en fin de 3e, il avait beaucoup grandi. Il a tapé un coup violent au dessus de la porte ouverte et a crié « Au revoir Monsieur ! » et est reparti, laissant mes élèves et moi un peu surpris. En fermant la salle à la fin des cours j’ai levé les yeux, il n’avait pas frappé le mur comme je le croyais, il avait appliqué un autocollant où il avait juste écrit mon nom. Les agents savent qu’il ne faut pas l’enlever. A cette salle, je ne suis guère attaché.
Par les fenêtres sont entrés de papillons, des guêpes, des abeilles, des mouches, des criquets, prétextes à crises d’hystérie collective et de gloire pour l’élève qui «gérait » l’évacuation héroïque avec une humilité surjouée. Une mésange fit son nid dans un volet bloqué. La perturbation du ballet du nourrissage des oisillons avait un pouvoir apaisant sur les classes. Jusqu’au drame. Le volet fut réparé. En le découvrant baissé en entrant en classe, les élèves furent glacés en imaginant les oisillons écrabouillés par les lames d’acier. Il n’en était rien. Néanmoins les oiseaux dérangés déménagèrent. Sauf un qui volait moins bien. Il manqua son envol, entra et voleta dans la classe pour se poser devant une élève. Avant que les spécialistes de l’évanouissement strident puisse réagir, elle avait pris calmement l’oiseau et l’avait délicatement posé sur le bord de la fenêtre. Il se lança, chuta lourdement vers le sol. L’un des parents s’envola d’un toit et le rejoignit pour le soutenir, ils remontèrent et volèrent vers le soleil. La classe, des 3e, debout, était émue aux larmes. Peu de temps après, une tourterelle entra en classe, vola quelques battements d’ailes au dessus de la tête de la même élève et ressortit. Je lui ai dit qu’il y avait certainement un signe. Elle a répondu calmement : « Oui, je sais ».
C’est le seul miracle extraordinaire qui ait eut lieu dans cette salle, les autres miracles ont relevé de l’ordinaire éducatif.
Je ne suis pas particulièrement attaché à cette salle.
Il y a un petit crochet, posé par le factotum quand cette petite 6e quasi aveugle ne savait pas où poser sa canne blanche. Scolarisée à la maison, elle voulait être normale. Ca n’a pas marché. Elève trop remarquable par son intelligence, trop fatiguée par la maladie, elle n’a pas pu terminer cette année qu’elle a enchantée. Je suis allé l’applaudir lundi dernier. Elle jouait le rôle-titre du Cendrillon de Pommerat.
Peut-on vraiment s’attacher à une salle banale avec un petit crochet.
Ah oui, il y a aussi un fantôme, ce sera pour un autre jour.
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