04. Les compléments circonstanciels 2 : Le temps

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          La dernière année se prête évidemment au jeu du dernier truc avant la retraite. Ça commence en septembre avec la dernière prérentrée. Aux temps joyeux du service militaire, et le « travail » n’est-il pas un service militaire qui dure 40 ans, l’occupation principale était de compter le temps. On « pétait zéro » à ce qu’on faisait pour la dernière fois. On fêtait le Père Cent. Moins connu du folklore bidasse mais plus subtil , la « balance », ou la « bascule », ce jour précis où il reste autant à faire que ce que l’on a déjà fait. Cette mesure concrète du temps à venir étalonnée sur le temps passé est en général un jour sombre, voire de désespoir, jour de suicide, de désertion. Il est devenu impossible comme aux temps bénis des trente-sept ans et demi, de calculer le jour précis de la  bascule de notre temps de profs, celui-ci étant remis en jeu à chaque réforme des retraites. Mais, si à un moment de votre carrière, vous vous sentez vidés, sans avenir, démoralisé et aussi utile qu’une chaussette dépareillée abandonnée au fond d’un bac un jour de solde, c’est peut-être que vous êtes en train de «basculer». 

Dernier bidule avant la retraite 1 :  Le dernier oral de DNB.
Le dernier élève du dernier oral de DNB même.
C’est une vieille connaissance, je l’ai eu en 5e et c’était pas un cadeau. Intelligent, utilisant toute son intelligence pour tout casser à commencer par sa scolarité, et mes pieds par la même occasion. Je l’ai donc secoué à l’époque dans tous les sens, respectueusement, mais vigoureusement.
Mes anciens bons élèves me croisent le plus souvent en détournant le regard, objet dépassé de leur jeune passé qu’ils évitent en détournant les yeux pour ne pas vivre le moment gênant, ils disent malaisant, qui est la mesure de leur vie collégienne.
Ceux qui disent bonjour, qui tapent la discute, qui font trainer la rencontre, qui demandent des nouvelles de ma santé, qui entrent dans ma classe avec nostalgie, qui traversent la rue pour me saluer, sont souvent ceux que j’ai secoué, grondé, puni, collé, raisonné, moralisé, exécuté, convoqué les parents, exclus de cours, et donc considérés et respectés.
C’est je crois une expérience assez commune.
Quatre années de collège, les années de primaire et les brouillards de l’avenir lycéen, les élèves aussi ne situent pas leur bascule. Elle se place sans doute quelque part au collège. Elle peut être sévère, violente ou silencieuse, et profonde. Si ce n’est pas reposant, c’est un lieu/temps plutôt intéressant professionnellement. Il y a là un moment assez bref où les malédictions enfantines, familiales ou scolaires peuvent être déminées, mais il est rare que nous en voyons les effets et que nous en soyons les seuls responsables.

Mon dernier élève de dernier oral de brevet était de ceux-là. Il faisait partie d’une belle brochette d’emmerdeurs, et il n’y jouait pas les garnitures.
A mesure que le temps a passé, l’assaut à la baïonnette a évolué en guerre de position puis en paix des braves, et enfin en entente cordiale, alors que je ne l’avais plus en cours.

Il a fait un excellent oral, si passionné qu’il en a heureusement oublié son inévitable Power Point qui sert à rien.
En 5e il voulait devenir riche et célèbre, footballeur quoi. En fin de 3e il nous a annoncé vouloir devenir psychologue.
Il a eu 100/100. Pour une fois, c’est arrivé de mon vivant.
Et si tout est écrit par (Bour)Dieu, on n'est pas tenu d'y croire.

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