14. Derniers bidules avant la retraite 3

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 Le conseil de classe

Pour être honnête, je pensais que ce calendrier serait facilement rempli avec des Derniers bidules avant la retraite sur lesquels il me serait facile de tirer quelques lignes. J’ai pu faire un truc sur le dernier oral du DNB et les dernières copies. Mais les bidules en question passent sans que je m’en rende vraiment compte, au point que ça fait une semaine que j’ai en ligne de mire Mon dernier conseil de classe. Mais je sens que la veine va se tarir. Autant ma dernière rentrée a été un moment particulier, autant j’ai réalisé les autres Derniers avec quelques jours voire quelques semaines de retard. La faute sans doute en partie à ma perception baroque du temps qui me place en jet lag mental perpétuel mais surtout parce que, l’échéance approchant, je me souviens de ce que disent les retraités de ces dernières années avec lesquels je déjeune 2 ou 3 fois l’an : cette vie-là s’éloigne et s’estompe à toute vitesse.
Ca ne m’arrange pas car ce que je pensais être une de mes sources d’inspiration principale se tarit bien loin du but.

Le petit théâtre du conseil de classe se prêterait facilement au portrait amusant des profs, élèves délégués, parents, Personnels de Direction, de leurs tics et de leurs tocs avec rappel historique de nos ancêtres les Kalamazoo2, nom qui peut se traduire pas : queue de loutre, marmite bouillante, belle eau, ils ont fumé, gué, zone où les animaux blessés par les Indiens rampent pour mourir, ça court vite, mirage ou rivière rafraichissante en diverses langues indiennes, ce qui reconnaissons-le décrit assez bien ce qu’est un relevé de notes et appréciations.

Mon dernier conseil de classe se termine sur le même énervement que mon premier comme prof de 3e. C’est un des points les plus aveugles, ou les plus aveuglés du métier : évaluer, classer, trier.
Arrivé en retard à mon premier conseil de classe de 3e, j’ai découvert que le prof d’une matière que je qualifierais d’adverse, et PP en l’occurence, avait orienté en Pro tous les élèves qui n’avaient pas la moyenne dans sa matière et dans celle d’un sien complice. Le temps de comprendre et j’ai demandé de repartir de zéro. Je n’ai rien contre le Pro et on a tenu compte de toutes les notes, surtout des miennes pour orienter. Je me suis fait deux amis mortels.
Arrivé en avance à mon Dernier conseil de classe donc, enfin de groupe, 6 élèves, pas vraiment Broadway comme final. La PP, une prof remarquable et gentille comme tout a prononcé au sujet de N. le mot-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-les-lettres-dans-cet-ordre-là car une très ancienne malédiction me transforme aussitôt en bloc de bouse : P.A.R.E.S.S.E.
Je suis au collège, je n’ai jamais rencontré un élève de 6e ou de 5e qui soit paresseux. Et si certains paraissent en donner des signes en 4e/3e il s’agit d’une conséquence et non d’une cause. J’ai connu beaucoup d’élèves qui ne travaillaient pas, la paresse trop rapidement diagnostiquée n’en était jamais la cause. En revanche, l’étiquette est commode pour ne pas les rechercher, ces causes.
Entre ces 2 conseils de classe distants d'une quarantaine d'années, la même loi du gâchis maximum, les mêmes chroniques de l’échec annoncé, que ce soit avec redoublement autorisé ou prohibé.
Et ce n’est pas le problème d’être orienté en Général ou en Pro. Je n’ai rien contre la voie professionnelle, j’ai été prof principal de 4e et 3e techno quand il s’est agi de les faire passer d'une filière de relégation en filière de remédiation et d’orientation positive. J’ai formé et travaillé avec plaisir avec des prof de LEP remarquables, et me suis désolé de la lente destruction de leur travail. J’ai des élèves qui s’y sont épanouis et qui sont devenus de vrais Pros.
Je n’ai pas de solution, mais les « Tout le monde ne peut pas devenir polytechnicien » et autres : "On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif", sans même parler de « La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre » me.hérissent. L’Ecole n’organise pas un tri des talents, mais un tri social. Aucune liberté ni responsabilité individuelle là-dedans.
J’ai été majoritairement PP de 3e, avec en général les classes sans options, et j’ai participé au tri social en me protégeant par : Si tu as la moindre chance de réussir dans cette orientation, tu passes. Si j’ai la plus petite certitude que tu vas échouer tu ne passes pas. Je parle bien sûr avant que l’EN organise une gestion de flux basée sur un « laissez faire, laissez passer » dont je sentais bien qu’il était à la fois une lâcheté pour l’institution, et pour moi qui n’avait plus à décider du « destin » au moins scolaire d’un élève.
Je ne nous condamne pas, je pense réellement que nous faisons le maximum, et que nous sommes les seuls à le faire dans l’EN. Mais entre évaluer, classer et trier, je n’ai pas trouvé mon compte.

Ce soir non plus : N n’est pas paresseuse, chaque jour elle écrit, vaillamment sur du sable ce qu’elle ne retrouvera pas le lendemain. Ce n’est pas une question d’intelligence, ni de devoirs faits, ni de groupe de « besoins », c’est une fille, d’une famille sans culture scolaire, méfiante et aux idées bien arrêtées sur qui est attendu d’une fille. Ce qu’elle fait c’est déjà énorme, mais elle dit qu’elle est bête, ne me crois pas quand je lui dis qu’elle a eu 15 et que c’est bien. Bilan : Avertissement travail.

C’était mon quart d’heure Baudrillardien : « La radicalité est un privilège de fin de carrière »
  1. Grands classeurs où se remplissaient à la main les bulletins de notes ↩︎

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