20. Dernier bidule avant la retraite 4

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C’est ma dernière surprise-party

  On dit bal, de nouveau, maintenant. C’est mon dernier « Bal » du collège.
    Quand de plus jeunes profs ont lançé cette idée il y a quelques années, j’étais plutôt contre. Mon idée d’un bal réussi c’est plutôt Carrie. J’avais fui les Rallyes auxquels d’ailleurs je n’étais pas invité ; intensément pratiqué les boums avec ma bande de Vanves et fréquenté parcimonieusement soirées et fêtes plus tardives, après le drame des années 80. Je ne connaissais plus d'autre Bal que celui qui était petit et perdu.
Mes collègues investis semblaient de plus vouloir cocher toutes les cases de la ringardise. Ils voulaient machine à fumée et à bulles, tapis rouge, photographe, DJ et body guards, robes longues et costumes, noeuds pap, paillettes, maquillages, et thèmes à la con. J’ai ricané, j’avais tort, il y a eu tout ça.
Et finalement j’ai bien aimé ; une sorte de Bugsy Malone Chamallow Champomy. Il faut dire que sauf bonne fournée, les 3e regardent ça avec encore plus d’horreur dégoûtée que moi et désertent ces trucs de « petits » auxquels ils apporteraient leur lourdeur parfois si… lourde. Il reste donc une fête de mômes ivres d’eux-mêmes, où danser consiste à pogoter sur place en poussant des cris aigus sur des tubes inconnus de moi (sauf Bande organisée dont l’ésotérisme et le refrain marseillais me ravit). Le collège est suffisamment mélangé pour échapper au conformisme étouffant de tant de banlieues où « ça se fait pas » est la seule loi. Ici, la plupart « font », libérant un espace majoritairement bien plus tolérant que ce qui nous est vendu en ce moment. 

A est venue en robe du soir échancrée escortée par sa mère voilée qui ne parle pas français, et sa grande soeur que j’ai eu petite, future médecin, ma France.
B avait une incroyable robe rouge en cloche de fée marraine très peu dansante, mais B dansa.
C avait caché 6 pistolets à eau dans les poches de son costume, réalité vestimentaire et belle métaphore de son esprit si particulier de fils du Diable.
D réalisa son rêve, en robe argentée et sac à main de sa tante de Tlemcen, elle eut enfin son concours de grimace avec moi.
E fit une crise d’angoisse, les premières larmes d’une soirée lacrymale très réussie.
F a terminé son roman de 200 pages où il est question de l’escalier D. Sa mère le relit, je flaire un coup pour mon départ.
G aidée en Fluence en 6e vient de recevoir en 4e le prix du jury du concours local d’éloquence, elle en flotte et dérive encore de bonheur.
H et I erraient devant les grilles du collège, interdits de bal à causes de certaines affaires où ils avait eu affaire avec le règlement intérieur. Les joues creusées, le regard fiévreux, le ventre vide, les dents aiguisés, ils mendiaient des fraises Tagada et un défroissant pour leur honneur chiffonné.
J était folle de joie et pleura toute la soirée en disant à chaque prof qu’il était le meilleur prof.
K avait osé la mini jupe et les santiags, elle a dansé, et pleuré.
L a assuré qu’il était trop magnétique pour que le bracelet de sécurité en papier tienne à son poignet.
M. aida tout le monde, lui que personne n’aidait.
N. n’aime pas les vacances, elle n’y fait rien d’aimable, elle pleura et rit selon qu’elle pensait au présent ou au futur
0. était là. Cela fait une semaine qu’il annonce son départ pour le lendemain. il n’y croyait plus mais assurait encore que cette fois c’était sûr, son père allait venir et l’emmener au bled où la fête serait sans fin.
P. me tapota gentiment le dos en pleurant et en disant qu’il ne m’oublierait pas. P. n’a jamais été  mon élève.
Q était enfin plus grand que moi, il demanda une photo et veilla à ce que sa tête ne dépasse pas la mienne.
R me dit que finalement j’avais eu raison, il n’avait pas voulu y croire, mais il était bien un prince.
S avait mis une veste noire avec un coeur rouge et tenta une fois de plus de m’arracher mon secret, me donnant l’occasion d’ouvrir la phase 1 de mon plan. Il apprit donc qu’il se passerait quelque chose le jour du DNB. Mais que cela aurait un prix. Il me répondit fataliste «  Tout se paye », il n’a pas encore idée à quel point.
T assurait que c’était « les potes avant l’amour », au moment où R dans sa belle robe lui dit « Bon tu viens ? », il y est allé, laissant les potes.
U l’intello vint me dire que certains de mes cours n’étaient pas absolument complètement  pénibles.
V. avait ENFIN les cheveux bleus.
W. disait que ce n’était parce qu’elle était noire qu’elle dansait bien, tas de racistes, mais parce qu’elle avait trop de choses à dire, et qu’elle était trop stylée.
X. a commencé le bal comme un 3e, et terminé comme un 6e.
Y. m’a demandé si c’était grave, la retraite.
Z. m’a dit que j’étais son seul 20, et que ce serait la première chose qu’elle sauverait d’un incendie, après son hamster de Russie.

Un collège n’est pas d’abord un lieu d’instruction, c’est un lieu où se déroulent un ensemble de rites sociaux liés à l’instruction. Une partie importante se déroule en cours. Mais pas tout, nous avons tendance à vouloir l’ignorer, ou le déprécier, ou à ne pas vouloir être concernés. C’est dommage, c’est même sans doute une erreur.
Sur le parvis du collège, tous riaient et tous pleuraient, avec une certaine théâtralité,  et surtout les 3e. Ils réalisaient que quelque chose se terminait : le collège, leur enfance, que le bal de fin d’année était un rite de sortie. Ils sont assez rares à l’inverse des rites de passage. On n’apprend guère à sortir, à quitter, à laisser, mais n’anticipons pas…

Ce n’est plus ma dernière surprise party, c’est Bal chez Temporel

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