Elève, il m’est arrivé devant un devoir à faire, de préférer rêver à la destruction de Stan plutôt que de faire l’exercice. Le bâtiment principal, objectivement plutôt réussi dans le genre béton brut, repose sur des pylônes dont je me demandais combien il faudrait en dynamiter pour que l’édifice s’effondre et me libère.
Pédagogiquement, Stan est en poussière pour moi depuis longtemps. J’ai sauvegardé deux trois choses venus de profs remarquables mais dans l’ensemble, l’Esprit Stan a très bien joué le rôle de boussole inversée.
A défaut de pouvoir m’attaquer à tout l’enseignement catholique sous contrat et lui faire rendre les sous, Il s’est agit de détruire Stan en moi.
Le hasard (Le hasard mon cul) dirait Zazie fait qu’un ancien de Stan, Simon Liberati (inconnu de mes lectures mais Prix de Flore, Fémina et Renaudot) a publié une autobiographie sobrement et stratégiquement intitulée Stanislas. Nous y étions à la même époque. Il doit avoir 2 ou 3 ans de plus que moi, ce qui est énorme à cet âge, mais fait que nous avons fréquenté le même Stan, le même quartier et les mêmes gens, ce qui me permet de voir ce qui revient à la vérité historique et à ma propre version des faits ; et m’y replonge encore...
Le livre est par ailleurs mes yeux sans intérêt, encore plus nombriliste que ce calendrier, c’est dire… Essentiellement du name dropping compulsif destiné à faire comprendre que sa déclaration première de ne pas faire partie de la clientèle bourgeoise habituelle de Stan est complètement fausse : c’est juste l’autobiographie d’un petit con de Stan.
Ce qui me permet de mesurer à quel point j’en suis resté un moi-même.
J’ai retrouvé plusieurs points communs :
Folklore enfantin (« Du sang, de la chique et du mollard ! » Encouragement rituel hurlé par les élèves encerclant une bagarre), folklore aristo (longueur des pantalons refilés de frère en frère inversement proportionnelle au nombre de particules), folklore bourgeois ( il fait quoi ton père ?) folklore catho ( il a servi la messe à Saint Sulpice, moi à Notre-Dame), Folklore mili (croix d’honneur, il se prétend médiocre mais il en a eu plus que moi), folklore scolaire (il y fut harcelé, pas moi, mais je reconnais tout ce qu’il décrit) Foklore Stan (il a été viré une année après moi, pour une Poubelle de Stan, lui le cours Marcel Proust, moi Saint-Sulpice) folklore pédophile (le lourdingue préfet R. dont tout le monde savait mais personne ne savait vraiment que…) folklore politique ( la mue du petit falot ou de l’énervé en brute en imper vert vs le baba de Montaigne), folklore psy (mourir enfant fait-il cesser tout cela ?), folkore sentimental ( Mais dans le fond, c’est quoi une fille ???).
Il évoque surtout très bien la médiocrité générale, la peur diffuse, une normalité anormale de paroles pieuses et d’actes brutaux, une hypocrisie constitutive, une religion vide, le constat que les moins intéressants allaient là où ils devaient aller : Banque, Commerce, Audit, Ingénieurs, médecins, militaires, Cadres Sup du CAC 40 ou dirigeants d’entreprise ( en ce cas souvent celle de papa), Immobilier ( souvent dans une agence à leur nom qui gèrent le patrimoine familial) et font tourner le monde dont ils profitent. Bref finalement, ce à quoi Stan est destiné, offrir un cadre à la bourgeoisie financière, qu’elle monte ou descende, et à ceux qui y prétendent. Ils n’y arrivent pas tous. Et ils travaillent beaucoup pour y arriver. La petite cuillère en argent dans la bouche n’a pas toujours bon goût.
Détruire Stan, Betharram et autres élevages serait de salubrité républicaine, si par ailleurs Henri IV et Louis-le-grand et autres élevages publics faisaient autre chose que de servir à la reproduction sociale. Du point de vue de la « guerre scolaire », je suis un déserteur du Privé, un traitre heureux d’un Public dont l’absurdité n’est pas moindre mais où j’ai pu faire ce qui me paraissait juste sans nuire. La mission est accomplie, même si cette guerre n’est qu’un avatar d’une guerre sociale qui fait rage sur bien d’autres fronts.
Détruire Stan en moi est difficile. Ce serait détruire mon enfance. Une amie m’a confié la nostalgie de la sienne dans les rudes terrains vagues de Glasgow. Stan est mon terrain vague, je m’y suis aussi amusé. Les enfants sont comme ça. Ce qui ne les tue pas, ne les rend pas plus fort contrairement à ce que prétend la croquette Nietszche, sans doute stupidement déformée, mais les blesse, à mort. Stan ne m’a pas tué, blessé sans doute, infecté sûrement, mais m’a également donné, par opposition et non par adhésion, les capacités de résilience que j’admire chez certains de mes élèves.
Je réalise que je partage quelque chose de plus avec Liberati : le même déni de faire partie de ceux de Stan. Pourtant, pas plus que lui je n’ai été à Stan par hasard, et je suis affecté du même snobisme. On aurait tort de trop associer Stan à l’argent, ce n’est qu’un des moyens, une des expressions du Pouvoir, de la Puissance, et de l’Appétit. Le rôle de Stan est de construire l’évidence d’être légitime pour les avoir, et malheur aux vaincus. Stan est la cathédrale construite pour le plus grand des 7 péchés dénoncés à l’église privée de Stan. Cette cathédrale d'Orgueil est significativement placée sous terre.
Comme prof, détruire Stan en moi m’a été plutôt utile sur deux points :
— La nécessité de faire le tri dans la grande confusion des sentiments qui y régnait et souvent règne encore quand il s’agit d’éducation ;
— A rebours de l’idée d’éducation même, considérer que l’enfant est un être complet.
Mais n’anticipons pas.
Laisser un commentaire