25. Initiation 3

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Moi,  Last exit to…

  Je comprends seulement maintenant que ma vie repose sur un contresens absolu. Peut-être à cause d’une vision tronquée de l’évènement qui fait de la naissance une entrée plutôt qu’une sortie, peut-être aussi à cause de la multiplication des examens, concours, compétitions, initiations et adoubements divers, J’ai toujours pensé que la grande affaire de la vie était d’entrer quelque part, de faire partie, d’avoir mon billet, d’être acceptable, et si possible accepté. Le concours n’arrange rien puisqu’en plus, on est l’Elu, et mon agrégation de contrebande a achevé de me faire tournoyer à l’envers.

     Je ne comprends que maintenant que la seule chose vraiment importante est de quitter, de partir, de démissionner, de sortir. Mais pour le faire, je n’ai aucun entrainement, aucune éducation, aucune indication, et même moins qu’un autre puisque je n’ai même jamais réussi à quitter l’école.

     Les yeux rivés vers cette étoile qui brille dans le lointain, l’issue était toujours masquée, absente, abolie. Il me manque une méthode, une philosophie du départ, de l’exil de l’abandon, de la fuite, de la sortie qu’on aurait bien dû m’apprendre dès l’enfance au lieu de cette course sans arrivée qu’on m’a fait prendre pour la vie même.
      Oui, j’aurais aimé avoir un entrainement à préparer les sorties, à anticiper le moins, la perte, la décroissance.

      Je découvre que je ne connais qu’une seule manière de terminer quelque chose : la crise. Mais bon, même en dramatisant à fond j’ai du mal à faire une crise, même pas une cricrise du départ à la retraite.Mes collègues me parlent en levant les yeux, leur visage doucement éclairé par la nouvelle lumière que je diffuse depuis que je lévite en salle des profs, essayant de recevoir un rayon de la sérénité qui nimbe mon front bouclé.

     Il reste les rites. Je crois aux rites, plus qu’aux rituels. J’en invente sans cesse en classe. La différence me semble-t-il, sans doute pas très scientifique, serait que le rite renvoie au symbole, au mythe, et le rituel à sa réalisation, aux procédures, aux gestes. Le rite de passage d’un état à un autre peut se réaliser par bien des rituels différents selon les époques et les cultures. Non croyant, l’Eucharistie ne me pose pas de problème particulier, mais je suis très réservé sur le rituel (paroles, gestes, costumes, etc..) Une messe dont je connais pourtant chaque détail me parait plus étrange qu’une célébration vaudou ou que le Famadihana, le retournement des morts malgache.
     L’enfant de choeur a perdu le rite dans le rituel.

Il y a des rites pour tout, en particulier pour entrer, pour commencer, pour initier, pour recevoir, beaucoup moins pour partir, quitter, sortir. Le deuil est pour ceux qui restent, plus rarement pour celui qui part. Or, il y a sans doute autant d’émotions dans la fin que dans le début, sinon plus, et sans rite il n’y a plus de place que pour l’émotion, souvent la plus douloureuse.
Dans La venue de l’avenir, Klapisch reprend une scène vue par ailleurs sur internet, le départ d’un prof filmé en plan séquence de dos que l'on suit au milieu d’une longue haie d’élèves qui l’applaudissent. Je trouve le rituel grandiloquent, j’apprécie le rite.
Ces rites de départ existent bien sûr, l’humanité n’est pas si mal faite que ça, mais il me semblent réduits à leurs rituels : Pot de départ, discours avec rappel de la carrière, discours je ne vais pas faire un grand discours mais…, cadeau psychopompe pour la suite…
Il s’agit d’un rite de passage classique dont je comprends bien les enjeux, à la fois pour la personne et le groupe.  Pas d’un rite de fin, d’abandon.

Mon demi-oncle, un original de première grandeur qui a perdu la moitié de ses biens et abandonné le reste, m’a confié sa Méthode : aux moments importants de sa vie, il séparait ses possessions en deux parties : la première composée des choses dont il pouvait se débarrasser sans problème, la seconde des choses qu’il aimait.
    Il tirait ensuite au sort et jetait la partie désignée.
    Cette apparente cruauté a des explications. Cette partie de la famille avait tout (beaucoup) perdu lors du Krach de 29. C‘était le genre de famille où tout perdre, permettait encore de vivre sans travailler pour une génération et demie. Ils reperdirent tout en 40 lors de la spoliation des biens juifs, et furent bien près de se perdre eux-mêmes.
Et en effet chez lui, il ne reste rien. Quand il a besoin de quelque chose, il le peint.
Descendant de l’autre demi-famille, celle qui utilisait la crise, j’ai toujours admiré sa capacité à passer d’une vie à l’autre en sacrifiant une moitié de lui-même, admiré sans jamais l’imiter.

     Ces chapitres sont un rituel que j’ai inventé parce que j’en avais besoin.

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