Le Bouddha de Kamakura (1892)
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Les premières, 6ème et 8ème strophes ont servi de poème liminaire aux trois premiers chapitres de Kim.
Le tour du monde de Kipling s’arrête au Japon en 1892, sa banque ayant fait faillite. Il y passe trois mois. Le Daibutsu de Kamkura est une monumentale statue en bronze du XIIIe.
Le sous titre serait une remarque faite par un occidental (idole) et auquel le narrateur du poème répondrait en commençant par rappeler au chrétien la violence de sa propre religion et l’inciter à une plus grande tolérance.
La Porte étroite : Mathieu 7:14 : « 13 Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. 14 Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent. » : l’expression désigne donc les chrétiens les plus austères.
Tophet : Ancien testament, vallée de Hinom, lieu où les enfants étaient sacrifiés vivants au feu de Moloch. Assimilé à l’Enfer.
« Païens » : traduction de « heathen », sens souvent péjoratif dans le contexte colonial.
La Voie/La Loi : Marga/Dharma.
Maya : mère du bouddha historique : Siddartha Gautama.
Ananda : cousin et disciple de Bouddha.
Bodhisattva : bouddha avant d’atteindre l’Eveil.
Les papillons : les moines bouddhistes japonais.
Hti : ombrelle ornementale des stupas birmans.
Shwe-Dagon: pagode dorée à Rangoon.
Om mane padme hum’s : Mantra de la Grande Compassion.
Bodhtaga : ville indienne, un des 4 lieux saints du bouddhisme où Siddharta a atteint l’Illumination, en cours de fouille et de restauration à l’époque de Kipling.
« Les fanatiques nourris de boeufs » : Chrétiens et peut-être également musulmans.
Traductions : traduction « classique » française de Fabulet et Fountaine-Walker supprime les strophes mises en exergue des 3 premiers chapitres, elle sont conservées pour les chapitres I (strophe 1) et II (strophe 6, mais en modifiant le 3e vers " neither creed nor priest" traduit par "ni l'homme ni la bête") et III ( strophe non retenue dans cette version du poème, ajoutée en variante dans ma traduction).
traduction de Pierre Coustillas, La Pléiade 3.
Le Bouddha de Kamakura
« Et il y a une idole japonaise à Kamakura »
Ô vous qui empruntez la Porte Etroite,
Au Jour du jugement, par la flamme de Tophet,
Soyez bons lorsque les « païens » prient
Le Bouddha de Kamakura !
À lui seul la Voie, la Loi,
Que Maya gardait au fond de son cœur,
Le Seigneur d’Ananda, le Bodhisattva,
Le Bouddha de Kamakura.
Car bien qu’il ne brûle ni ne voie,
Ni n’entende vos remerciements aux Déités,
Vous n’avez pas péché avec ceux-là,
Ses enfants de Kamakura,
Épargnez-nous encore la plaisanterie occidentale,
Quand les bâtonnets d’encens se transforment en fumée parfumée,
Les petits péchés des petites gens
Qui vénèrent à Kamakura —
Les papillons en robe grise, et ceintures joyeuses,
Qui voltigent sous le regard du Maître.
Il est au-delà des Mystères,
Mais il les aime à Kamakura.
Et quiconque le veut, libéré de l'Orgueil,
Ne méprisant ni croyance ni prêtre,
Peut sentir l'âme de tout l'Orient
Autour de lui à Kamakura.
Oui, chaque récit qu'Ananda entendit,
De sa naissance comme poisson, bête ou oiseau,
Tandis que dans ses vies le Maître s’éveillait,
Le vent chaud les apporte Kamakura.
Jusqu'à ce que les paupières somnolentes semblent voir
Une fleur sous sa hti dorée
Le Shwe-Dagon flamboie vers l'est
De Birmanie à Kamakura,
[Avec la voix de chaque âme qui s’accrochait
À la vie, luttant pour passer d’un degré à l’autre,
Quand le règne de Devadatta était jeune
Dans la vénération à Kamakura.]
Et dans l'air alourdi qui descend
Le tonnerre des tambours tibétains,
Et le bourdonnement — « Om mane padme hum's » —
À l'autre bout du monde de Kamakura.
Pourtant, les brahmanes règnent toujours sur Bénarès,
Les ruines de Buddha-Gaya sillonnent la colline,
Et des fanatiques nourris de bœuf profèrent des menaces
contre Bouddha et Kamakura.
Un spectacle touristique, une légende qu’on raconte,
Un amas rouillé de bronze et d'or,
Voilà tout, et guère plus , ce que comprenez
Du sens de Kamakura ?
Mais lorsque la prière du matin est récitée,
Pensez, avant de vous consacrer aux conflits et au commerce,
Dieu, créé à l'image de l'homme, est-il
plus proche de nous qu'à Kamakura ?
Buddha at Kamakura
“ and there is a Japanese idol at Kamakura”
O ye who tread the Narrow Way
By Tophet-flare to judgment Day,
Be gentle when “the heathen” pray
To Buddha at Kamakura!
To him the Way, the Law, apart,
Whom Maya held beneath her heart,
Ananda’s Lord, the Bodhisat,
The Buddha of Kamakura.
For though he neither burns nor sees,
Nor hears ye thank your Deities,
Ye have not sinned with such as these,
His children at Kamakura,
Yet spare us still the Western joke
When joss-sticks turn to scented smoke
The little sins of little folk
That worship at Kamakura—
The grey-robed, gay-sashed butterflies
That flit beneath the Master’s eyes.
He is beyond the Mysteries
But loves them at Kamakura.
And whoso will, from Pride released,
Contemning neither creed nor priest,
May feel the Soul of all the East
About him at Kamakura.
Yea, every tale Ananda heard,
Of birth as fish or beast or bird,
While yet in lives the Master stirred,
The warm wind brings Kamakura.
Till drowsy eyelids seem to see
A-flower ’neath her golden htee
The Shwe-Dagon flare easterly
From Burmah to Kamakura,
[With voice of every soul that clung
To life that strove from rung to rung
When Devadatta’s rule was young
In worship at Kamakura.]
And down the loaded air there comes
The thunder of Thibetan drums,
And droned—“Om mane padme hum's”—
A world’s-width from Kamakura.
Yet Brahmans rule Benares still,
Buddh-Gaya’s ruins pit the hill,
And beef-fed zealots threaten ill
To Buddha and Kamakura.
A tourist-show, a legend told,
A rusting bulk of bronze and gold,
So much, and scarce so much, ye hold
The meaning of Kamakura?
But when the morning prayer is prayed,
Think, ere ye pass to strife and trade,
Is God in human image made
No nearer than Kamakura?
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